C’est l’histoire d’un jeune homme qui rencontre une jeune femme, comme dans toutes les bonnes histoires d’amour de ce genre. Au départ le jeune homme ne remarqua pas la jeune dame, mais dès qu’elle posa les yeux sur lui elle sut que c’était lui que Dieu lui réservait. Après une longue histoire d’amitié et de romance subtile, le jeune homme se rendit compte que derrière le voile du visage plutôt ordinaire de la jeune demoiselle se cachait une de ces femmes qui feraient briller les plus belles étoiles, si on pouvait faire briller une étoile ne serait-ce qu’avec la perfection de son être.
Ils se marièrent, comme dans toute bonne histoire d’amour, et leur cérémonie était des plus fantastiques. Je ne parle pas de ces mariages flamboyants où on débourse des sommes immenses ne serait-ce que pour démontrer sa richesse absurde afin de compenser pour le manque de sincérité, mais un mariage tout simple où était présent un amour si pur et véritable qu’il semblait que même les invités les plus distants pleuraient de joie et d’attendrissement face à ce spectacle qui sortait de l’ordinaire. Le père de la jeune dame, puisque ce sont toujours les pères de la demoiselle qui semblent les plus généreux, leur donna à tous deux un cadeau tout simple, mais à l’image de sa fille quant à son excellence.
Le père leur tendit ce cadeau en disant : « Avec ceci, vous pourrez accomplir de grandes choses ainsi que de minuscules », car le père savait que bien souvent les minuscules choses sont les plus importantes. Il continua, « Avec ceci, vous pourrez guérir les plaies les plus profondes et douloureuses. Avec ceci, le monde est à votre portée. Avec ceci, vous pourrez vivre l’amour que ceux du passé croyaient être un mythe et dont ceux du futur raconteront l’histoire jusqu’à la fin des temps. Avec ceci, vous pourrez donner la vie. »
Tremblant d’anxiété mais rempli de curiosité et poussé par la présence rassurante de son épouse, le jeune marié remercia son beau-père et ouvrit le coffret. Ce cadeau était la communication.
Lorsqu’ils reçurent ce don, ils n’en comprirent pas tout de suite le sens. Mais bientôt ils découvrirent que les paroles qu’ils prononçaient jadis avaient pris un sens bien plus profond : ils étaient dorénavant capables de s’exprimer avec le cœur, par l’entremise de mots qui, d’habitude si maladroits, étaient maintenant empreints de signification et d’émotion profondes qui jaillissaient du cœur. Quelle merveille que de pouvoir révéler à l’autre les secrets de son âme!
Alors qu’ils partaient, le père les interpella une dernière fois et les prévint : « Faites attention ! Car ce qui construit peut ainsi détruire, ce qui peut guérir peut de même blesser, et ce qui donne la vie peut également la reprendre. » Trop enivrés de romance, de joie et d’un peu trop de champagne, ils ne prêtèrent pas attention à ce conseil judicieux.
Quelques mois plus tard, lors de la promenade quotidienne de l’époux, apparut un ancien ami du marié, depuis longtemps oublié. Celui-ci, un véritable vaurien, commença tout de suite à calomnier les gens du village, simplement pour le plaisir de le faire, s’appuyant sur des ouï-dires et des préjugés. Le marié, ne voulant pas choquer son ami, se mit à rire avec lui. Soudainement, cessant de rire, l’ancien ami eut un visage inquiet et même désolé pour son ami récemment marié : « Comment est-elle, ta femme ? À première vue elle n’est qu’un peu mieux que laide, qu’est-ce qui t’attires chez elle ? » Et le marié, son plus grand défaut étant de ne pas pouvoir contredire un bon ami, répondit « Ah, tu sais, tu ne dirais pas cela si tu la voyais la nuit ! » avec un clin d’œil.
Son ami, jouissant de cette information juteuse, entreprit un bref échange de politesses inutiles et superficielles, ceux que l’on partage avec ceux qui étaient aimés jadis et qui sont maintenant oubliés, avant de lui dire au revoir et de disparaître. Pendant ce temps, l’épouse et sa bonne amie prenaient le thé (quoique l’épouse préfère le café, à vrai dire) en discutant de tout et de rien, lorsque l’amie adepte du thé dévoila la raison de sa visite : « J’ai entendu dire », chuchota-t-elle, « que ton mari fréquente des gens de mauvaise vie. » L’épouse, déséquilibrée par l’affirmation mais faisant de son mieux pour demeurer confiante, répondit « Ce doit être pour une charité quelconque, non ? » L’amie, savourant le délice du secret, laissa le poignard couler comme du miel, dégoulinant mot par mot : « Je veux dire, tu sais, les femmes de mauvaise vie. Si c’est une charité, je ne sais, mais je sais qu’il débourse de l’argent. Je l’ai entendu d’une amie très digne de confiance. » L’épouse étant visiblement troublée, baissa le regard et ne dit plus rien. Son but accompli, l’amie bienveillante (car rapporter des potins pour la « protection » d’une amie est bien généreux) s’en retourna à sa demeure et à son mari trop occupé par son travail pour aimer son épouse.
Alors que notre nouvel époux était sur le chemin du retour de son travail après une longue journée, l’ami vaurien refit apparition mais cette fois-ci il n’était pas seul. Il amenait avec lui une de ces femmes pour qui on détourne des navires et pour qui on entreprend des guerres, et cette femme-ci était assez cruelle pour apprécier ces démonstrations d’affection, ou plutôt d’infatuation. L’ami, avec un sourire stupide aux lèvres, s’exclama bêtement « Tiens, je te présente une amie à moi ! Puisque ta femme t’attire ne serait-ce que pour cela, je t’ai apporté celle dont tout le monde dit qu’elle est incomparable. » Le marié, complètement désemparé, tenta de balbutier une excuse mais fut pris de force par le charme sensuel de la puissante succube.
Comme le veut la tradition, l’épouse du pauvre homme arriva à cet instant même où l’exécrable imitation d’une femme prit notre héros dans ses bras pour déposer sur ses lèvres un baiser teinté de faux désir et dégoulinant de perversion et d’érotisme. L’épouse cria, le marié revint à ses sens et se rendit compte de ce qu’il avait fait, et il tenta vainement de se justifier envers celle qui était détruite. Vainement en effet, car les paroles prononcées cette journée-là avaient fait leurs dommages à la structure de l’édifice qui était leur confiance, et il était trop tard pour dire quoi que ce soit, le bâtiment s’écroula. La mariée s’enfuit en larmes, le marié entra en rage profonde contre son ami, mais en vérité c’était contre lui-même. L’ami ria d’un rire jouissif (car il s’agissait d’un véritable criminel de la vertu) et la femme vint se frotter contre le marié, qui la repoussa avec un grognement ainsi que d’un mot que nous considérerions vulgaire, et qui s’en alla d’un pas rageur.
Ce soir-là, le père de la mariée pleura, car il savait ce qui venait de se produire. Le cadeau fait le soir de leur mariage avait été employé pour le mal. Oh, bien sûr, ce n’était pas un mal bien méchant ! Une petite blague un peu sexuée que l’on ne pensait pas réellement, un peu de potinage entre deux petits gâteaux (on ne peut prendre un thé sans petits gâteaux, évidemment), il y a bien pire maux dans ce monde. Cependant, la destruction avait accomplie son œuvre et l’amour qui était jadis pur est devenu hanté de remords et de doutes.
Ils n’ont pas divorcé (car, avec le cœur sensible que j’ai, je ne peux pas rompre un couple si proche de la perfection en matières d’amour), mais ça n’a pas été facile. Le marié a dormi près d’une semaine sur le seuil de la porte, implorant le pardon nuit et jour, avant que son épouse ne le laisse rentrer. Ça a pris un mois avant qu’elle ne lui adresse la parole, et ce n’était que pour lui ordonner d’accomplir une tâche quelconque. Mais tranquillement, les supplications de l’époux touchèrent le cœur de sa tendre femme, qui entendait dans sa voix la sincérité qu’elle connaissait si bien, la sincérité honnête de la repentance.
Ils ont appris à se pardonner, à se faire confiance. Plus important, ils ont appris à veiller sur tout ce qui sortait de leur bouche. Ils ont appris que la langue est comme le gouvernail d’un grand navire, et qu’il peut mener celui-ci à bon port autant qu’à l’épave. Ils ont appris que même une parole qui semble insignifiante est un dard empoisonné d’un venin sordide et virulent.
Non seulement ont-ils appris à ne pas commettre le mal avec le don offert par leur père, ils ont même appris à se servir de celui-ci pour faire le bien. À la fin de leurs vies, ils étaient connus partout comme étant des sources d’encouragement et d’édification. Plus important, ils étaient connus de tous comme étant des gens qui remerciaient Dieu avec chaque parole prononcée, que ce soit directement ou indirectement. Mais avant cela, lorsque le père de l’épouse était sur son lit de mort, il convoqua sa fille et son époux et leur confia une dernière parole.
« Mes enfants, » murmura-t-il avec la voix fragile et lente de celui qui est en chemin vers la tombe, « je vous aime de l’Amour qui est pure comme la neige fraîchement tombée, je vous aime de l’Amour qui est puissante comme l’entrechoquement des planètes, je vous aime de l’Amour qui est passionnée comme la pluie torrentielle, je vous aime de l’Amour qui est vraie comme la fleur qui donne sa vie pour celui qui la cueille. Mes enfants, je vous en prie : vous savez maintenant quel est mon cadeau, quelle est sa puissance destructrice ainsi que sa force constructrice, quel est son poison ainsi que sa cure, quelle est sa malédiction ainsi que sa bénédiction. Mes enfants, je vous en prie : maintenant que vous savez tout cela, redonnez-moi le cadeau que je vous ai donné. »
Surpris pas la requête inattendue, ils ne surent pas refuser à leur père mourant son désir. Mais lorsqu’ils ouvrirent la petite boîte qui contenait la communication, ils se rendirent compte avec horreur que le coffret était vide. Honteux, le marié prit la parole et la responsabilité entière, et dit, avec des larmes remplissant ses yeux, « Père, j’ai égaré ton cadeau. Je suis désolé, je regrette amèrement. » Pendant le plus interminable des moments, le père ne réagit pas. Après ce qui sembla une éternité, un sourire véritable remplit son visage craqué. « Au contraire », murmura-t-il, « il me semble que tu l’as enfin trouvé. »
Étonnée, confuse et un peu désemparée, la femme redevenue fille l’interrogea en lui chuchotant « Mais papa, nous ne l’avons plus. Il n’est plus dans la boîte et nous ne savons où il est… »
Le marié crut déceler un indice de malice bienveillant dans le visage de son père alors qu’il répondit à celle qui est la prunelle de ses yeux. Il lui dit ceci, d’une voix tremblotante mais pourtant remplie de puissance : « Ma chère fille, mon cher fils. Le don de la communication n’en est pas un qui se possède dans une boîte. Alors qu’il demeurait dans la boîte, vous pouviez vous en servir pour faire le bien, comme vous pouviez vous en servir pour faire le mal. C’était un outil pour arriver à vos fins, rien de plus. »
Il prit une pause pour prendre son souffle, et poursuivit : « Lorsque vous avez guéri de cette journée fatale il y a si longtemps, le don de la communication a pu commencer à agir en vous afin de devenir plus qu’un outil. Vous avez commencé à communiquer non pour assouvir vos désirs, mais pour combler les besoins urgents de ceux autour de vous. Vos paroles sont devenues des véritables sources d’eau fraîche dans un monde désertique, ravagé par les mensonges, les secrets, les double-sens, les perversions et les insultes. Le cadeau que je vous ai fait n’est plus dans la boîte pour la raison toute simple que vous l’avez donné à tous ceux que vous avez encouragés et fortifiés, à tous ceux qui mouraient de soif que vous avez abreuvés. En faisant cela, vous me l’avez déjà redonné, par l’entremise des âmes qui ont été bénies par votre vie. »
1 commentaire:
Wow!
C'est vraiment bon, Nate:
Très bien écrit et...
le message est bon et il fait réfléchir!
COntinue ton excellent travail :)
d'une lectrice qui a déjà hâte à mercredi prochain(Hélène)
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